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22.01.2020

Problèmes d’approvisionnement en médicaments

Pénuries d’approvisionnement « made in Switzerland »

Les pénuries de vaccins ou les interruptions de livraison de médicaments contre le cancer font actuellement la une des journaux en Suisse, mais sont à vrai dire un problème mondial. Cependant, dans notre pays, des facteurs typiquement « made in Switzerland » ne font que les renforcer. Il n’y a toutefois pas lieu de parler de crise d’approvisionnement.

L’Office fédéral pour l’approvisionnement économique (OFAE) propose un service infos qui envoie à ses abonnés, plusieurs fois par semaine, des courriels avec, entre autres, la liste officielle des médicaments indispensables qui sont actuellement en rupture de stock. Le document recommande des alternatives de traitement et informe sur les mesures déjà prises pour éliminer ces pénuries d’approvisionnement. A fin octobre 2019, la liste comportait 46 médicaments et 12 vaccins. Ces chiffres sont-ils inquiétants ? Que signifient des ruptures de stock pour les patientes et patients totalement tributaires de ces médicaments et quelles mesures faut-il prendre ?

Des ruptures de stock, certes, mais pas de crise d’approvisionnement

Hormis différents vaccins et certains antibiotiques, des médicaments contre le cancer sont, à l’heure actuelle, tout particulièrement frappés par des interruptions de livraison. Il s’agit en l’occurrence d’indications pour lesquelles il n’existe pas de solution alternative ou alors un autre traitement qui pourrait nuire au bien-être du patient. A cela s’ajoute que des ruptures d’approvisionnement et des interruptions de livraison plus longues causent du travail supplémentaire aux pharmacies publiques et hospitalières car elles doivent chercher un produit de substitution et éventuellement l’importer. Il serait toutefois excessif de parler d’une véritable crise au niveau de l’approvisionnement en médicaments. Sur la liste de l’OFAE figurent aussi des médicaments qui ne sont plus guère demandés car, entretemps, des produits plus efficaces ont été introduits sur le marché. Ou, autre possibilité, les goulets d’étranglement sont de courte durée et sont maîtrisables en recourant aux préparations d’autres fabricants ou en prescrivant d’autres formes d’administration. Toutefois, lorsqu’on en arrive à devoir puiser dans les réserves obligatoires de la Confédération pour surmonter certaines ruptures de stock de médicaments et de vaccins, c’est que le problème est sérieux et qu’il doit nous alerter !

Complexité des causes

Dans le domaine des médicaments, les difficultés de livraison représentent un problème mondial. Suite à la globalisation – et à la politique des fabricants consistant à maximiser les bénéfices – les sites de production sont concentrés en quelques endroits seulement, souvent dans les pays où la maind’oeuvre est bon marché. De plus, certains principes actifs ou excipients ne sont désormais produits que par quelques fabricants. Si la production est interrompue, pour des motifs géopolitiques ou autres, le processus de fabrication des médicaments concernés l’est également. Par ailleurs, les fabricants, les grossistes, les hôpitaux et les pharmacies ont intérêt à avoir des stocks réduits afin d’économiser des coûts. Le problème, c’est que cette tendance aux « flux tendus » (zéro stock) restreint la marge de manoeuvre lorsque des interruptions de production surviennent quelque part dans le monde. Mais il existe aussi des facteurs « made in Switzerland » qui, de leur côté, conduisent à des ruptures de stock et qu’il faut se garder de balayer d’un revers de main :

  • Médicaments protégés par un brevet : le droit des brevets permet aux fabricants de nouveaux médicaments de les fabriquer et de les commercialiser en exclusivité pendant de nombreuses années. Il en résulte une situation de monopole avec des prix élevés. Une particularité suisse est que l’importation parallèle de ces produits est interdite. En cas de pro- blèmes de livraison, les fournisseurs de prestations ne peuvent importer que de petites quantités. Par conséquent, la responsabilité d’un approvisionnement suffisant en médicaments incombe en Suisse aux seuls fabricants. santésuisse voit deux moyens d’améliorer la situation de la population suisse. Le premier : autoriser systématiquement les importations parallèles afin qu’hôpitaux et autres fournisseurs de prestations puissent alimenter leurs stocks par des achats à l’étranger dès que des problèmes de livraison se profilent ou que la demande augmente. Le deuxième : lors de l’octroi des autorisations de mise sur le marché, et donc du droit exclusif de vendre ces produits, la Confédération doit impérativement exiger des fabricants qu’ils garantissent un approvisionnement sûr. Si les ruptures de stocks sont systématiques, le fabricant n’a pas rempli les conditions requises et des amendes doivent être prononcées. On augmenterait ainsi la pression sur les titulaires d’autorisations pour qu’ils détiennent des stocks plus importants et créent une chaîne de production plus diversifiée et plus fiable.
  • Médicaments dont le brevet est échu : à l’expiration du brevet, d’autres fabricants peuvent, avec la même substance active, fabriquer d’autres produits (génériques). L’importation parallèle de produits originaux dont le brevet est échu et l’importation de génériques ayant le même principe actif sont certes, en principe, autorisées en Suisse mais ne sont que trop peu utilisées. Et ce, bien que les prix de vente des génériques en Suisse soient jusqu’à 100 % supérieurs à ceux des pays voisins comparables. Cela prouve que le problème ne réside pas dans les prix prétendument trop bas. Les obstacles élevés pour l’autorisation de mise sur le marché (taxes, exigences quant à la gamme de produits, etc.) ainsi que la marge de distribution trop fortement dépendante des prix sont des raisons importantes qui expliquent la quasi-inexistence des importations parallèles. Le marché suisse est petit comparé à d’autres ; l’autorisation de mise sur le marché de génériques de même que les importations parallèles de médicaments déjà autorisés devraient être simplifiées. Le démantèlement de ces obstacles permettrait d’augmenter et de diversifier l’offre et donc de diminuer les problèmes d’approvisionnement.
  • Les difficultés de livraison résultent aussi de la volonté de maintenir des stocks bas. D’importants fournisseurs renoncent à constituer de gros stocks car ils immobilisent des ressources financières, surtout lorsqu’il s’agit de nouveaux médicaments généralement très coûteux. On observe ce comportement à tous les niveaux de la chaîne de distribution.
  • Le principe de territorialité interdit aux assureurs-maladie de prendre en charge les coûts des prestations et dispositifs médicaux achetés à l’étranger. Par le passé, il est vrai que certains assureurs se sont montrés coulants et ont remboursé les assurés ayant acheté des médicaments à l’étranger à des prix bien plus avantageux. Mais les assureurs contrevenaient ainsi à la loi ce qui leur a valu des réprimandes de l’Office fédéral de la santé publique. En cas de problèmes d’approvisionnement, un tel principe est absurde. Un patient devrait être libre d’acheter à l’étranger un médicament non disponible en Suisse et être remboursé par son assureur-maladie.

Et la suite ?

En 2015, la Confédération a introduit pour les médicaments vitaux une obligation de déclarer les éventuelles pénuries ou ruptures d’approvisionnement. La liste des médicaments non disponibles permet depuis de procéder à un monitorage ciblé de la situation. En parallèle, le Conseil fédéral a passablement élargi le registre des médicaments devant faire l’objet de réserves obligatoires afin de parer aux situations critiques. De plus, les fabricants et importateurs ont l’obligation de détenir un stock fixe pour certains médicaments. Le Conseil fédéral a toutefois reconnu qu’en dépit de ces mesures, la sécurité de l’approvisionnement n’est pas assurée dans tous les cas en Suisse. Il a donc mandaté l’OFSP d’établir un rapport qui analyse le fonctionnement de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement et propose un catalogue de mesures possibles. Ce rapport sera publié au printemps 2020. De leur côté, les assureurs-maladie demandent à la Confédération qu’elle oblige les fabricants de médicaments protégés par un brevet à prendre leurs responsabilités ou qu’elle accepte les importations parallèles. Par ailleurs, pour les médicaments dont le brevet est échu, le marché doit être redynamisé par l’autorisation simplifiée de génériques. Il faudrait aussi faciliter les importations parallèles et supprimer le principe de territorialité pour les importations individuelles. Les produits et prestations vitales doivent fondamentalement être à disposition des personnes qui en ont besoin. On peut attendre d’une des branches les plus rentables au monde qu’elle assure la sécurité de l’approvisionnement. Si le libre marché ne peut la garantir, des règles plus strictes doivent être fixées. Mais cela ne doit en aucun cas passer par des hausses des prix des médicaments en Suisse.

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